Le nouveau roman de Faïza Guène, en cette rentrée d’automne exprime une histoire à la fois singulière et universelle. Elle nous livre l’histoire de la famille Taleb, une famille algérienne immigrée en France. Un roman qui nous fait passer par toutes les émotions, entre humour et pudeur, la voix de cette famille doit faire écho à tous.

Faïza Guène se fait connaître à 19 ans grâce au succès de son livre « Kiffe Kiffe demain » sorti en 2004. Pour cette rentrée automnale, paraîtra son premier roman à la troisième personne. Sur le plateau de France Culture elle expliquera : « J’ai envie que le récit de cette personne qui a l’air invisible compte ». Plutôt adepte des comédies sociales, nous avons cette fois-ci à faire à la mémoire des générations qui nous précédent mais surtout à celle de l’immigration maghrébine. Il s’agit de l’histoire de Yamina, une algérienne qui connaîtra un double exil. Le premier au Maroc durant la guerre d’Algérie pendant son enfance, puis le second, après son mariage, en France à Aubervilliers. Yamina ne parle pas de son passé, de sa douleur, de son exil, de ses peurs. Son mari et ses quatre enfants porteront ce poids, ce besoin de s’exprimer, et surtout de comprendre. « Yamina est née dans un cri. à Msirda, en Algérie colonisée (…). Quarante ans plus tard, à Aubervilliers elle vit dans la discrétion. Mais la colère, même réprimée se transmet l’air de rien ».
Ce livre fait appel aux sens, en les mettant en opposition, et c’est certainement la meilleure façon de retranscrire les émotions. La problématique est mise en avant assez rapidement, dès les premières pages : « Yamina est née dans un cri. Alors pourquoi choisir de mener une existence silencieuse ? ». Le cri et le silence sont l’essence même du récit.
Quelle ambiance
Découpé en de courts chapitres, datés, et situés comme un en-tête de lettre, ce roman offre une lecture simple, rapide, et surtout, de par son universalité, touchante.
Grâce à la précision de ses descriptions, l’auteure, permet à chacun de resituer les lieux, de les reconnaître et parfois même de les visualiser. Finalement, le lecteur retrouve un peu sa madeleine de Proust à travers les lignes de l’auteure. Même un habitant de Beaucamps-le-Vieux, un village en Picardie de 1400 habitants, qui, ne situe pas le centre commercial de Bobigny 2, pourra, en lisant, ressentir ce sentiment anxiogène que la description d’une situation à la préfecture peut procurer. Cette situation est l’entrée en matière du roman : « (…) personne n’a envie de revenir le lendemain faire cette foutue queue à la préfecture ». Effectivement, personne, même en Picardie.
Une voix qui porte
Le récit couvre celui de trois générations d’immigrés nord-africains, mais dépasse largement le spectre des Taleb et embrasse l’histoire de milliers de familles, et plus encore puisque cette histoire nous concerne tous, si l’on souhaite comprendre la société française. Malgré son mutisme, Yamina, arrive à transmettre une parole à ses enfants. Une nouvelle génération qui porte la colère de ses aînés. Les enfants, Hannah, Malika, Imane et Omar, ont une force de caractère qui leur provient de leur histoire, mais peinent à l’exprimer. Sans repères, ils ont le sentiment d’être étrangers à la fois dans le pays où ils sont nés et dans leur pays d’origine.
« Soudain, Malika se sent triste, c’est sourd, c’est dans le ventre ; comme si elle réalisait pour la première fois que ses aïeux, puisqu’ils ne sont mentionnés nulle part, n’avaient jamais existé. Elle se voit brusquement comme un fantôme issu d’une longue lignée de fantôme. Malika le sait pourtant qu’ils ont bel et bien existé ses ancêtres, et que leur histoire aussi et bel et bien réelle. Mais personne n’a pris la peine de l’écrire, cette histoire, personne n’a noté leurs noms, personne n’a consigné les dates, personne n’a compté leurs vivants et leurs morts, surtout leurs morts ». Faïza Guène, La discrétion, page 207.
Hannah est la plus caractérielle, du moins celle qui s’exprime le plus, et qui en ressent le besoin, elle porte en quelque sorte la voix de toute une famille. Elle équilibre les sentiments de chacune des générations de cette famille. Elle est la seule qui a choisi d’en parler avec une psychologue. Mais elle le cache à ses proches.
Ça lui fait bien du bien d’entendre : (…) vous portez en vous la violence et les humiliations vécues avant vous, vous en héritez (…). Cette colère, colère qui a été longtemps réprimée, c’est très injuste, et l’injustice, ça met en colère. Mais vous ne pouvez pas porter seule tout ce poids. Vous ne pouvez pas réparer seule l’offense.
Réparer l’offense ». p.225
Faïza Guène a sûrement cousu là un premier point de suture, discret, pour une plus belle cicatrice.
Laura Ouvrard