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ITW Lilian Thuram 2/3: «Il y a trop de gens qui collaborent avec le racisme»

Il est entré dans la légende un soir de juillet 1998 en qualifiant la France pour la finale de la Coupe du Monde de football. Aujourd’hui il est un des visages les plus connus de la lutte antiraciste hexagonale grâce à ses prises de position médiatiques et au travail de sa fondation Éducation contre le racisme. Lilian Thuram nous a accordé un entretien fleuve à l’occasion de la sortie de son essai La pensée blanche. Dans cette deuxième partie, l’ancien défenseur de Monaco, Parme, la Juventus et le Barça nous parle d’éducation.

Cliquez ici pour lire la partie 1 consacrée au football et au racisme

Cliquez ici pour lire la partie 3 consacrée à la pensée blanche

Saliou Diouf : Vous parlez de l’intervention française au Mali en 2012 dans La pensée blanche. Est-ce que ce n’est pas dangereux de se positionner sur des sujets comme celui-là quand on a été fait chevalier d’honneur ?

Lilian Thuram : Donc vous me demandez s’il ne faudrait pas avoir peur de se positionner sur certaines choses. C’est intéressant comme question, parce que c’est ça qui fait que l’on n’avance pas. Très souvent les gens se demandent qu’est ce qu’il risque en disant cela ? C’est comme ça que les inégalités perdurent dans la société. Que ce soit pendant la colonisation, pendant l’esclavage, il y a toujours eu des gens qui ont dénoncé les injustices. Cela a toujours été une minorité de gens qui ont dénoncé les injustices. Parce que la grande majorité ne s’y risquait pas. N’oubliez jamais que c’est une minorité de gens qui font basculer les choses. Que ce soit dans le positif ou le négatif. De quel côté vous voulez être ? Je pense qu’il faut être dans cette minorité qui dénonce les injustices pour faire avancer la société. Votre question est très intéressante. Parce que la grande majorité des gens ne disent rien. Vous savez, nous sommes en France, nous sommes français, y a-t-il eu plus de résistants ou de collabos pendant la deuxième guerre mondiale ?

Saliou Diouf : Plus de résistants.

Lilian Thuram : Ah non. C’est là que vous vous trompez jeune homme. Il y a eu plus de collabos que de résistants. C’est ça le problème quand on parle du racisme. Il y a trop de gens qui collaborent avec le racisme et même ceux qui le subissent, collaborent en acceptant les choses et en ne disant rien.

Saliou Diouf : Quand vous parlez d’engagement, comment se fait-il que les sportifs en France se soient si peu positionnés sur l’affaire Adama Traoré avant qu’intervienne le décès de George Floyd? Comment se fait-il qu’il a fallu que ce soit à l’étranger pour que ça arrive en Europe ?

Lilian Thuram : Il faut savoir que très souvent la société française et certaines populations de la société française sont tournées vers les États-Unis. Ils connaissent mieux l’histoire du racisme des États-Unis que celle du racisme en France. Si je vous demande qui est Rosa Parks, vous allez me le dire. Si je vous demande qui sont les sœurs Nardal, peut-être que vous ne le savez pas, parce que historiquement on ne l’a pas appris. Le combat des sportifs de haut niveau aux États-Unis est culturel. Depuis très longtemps, les sportifs noirs jouent un rôle très positif dans la lutte pour l’égalité.

Je pense qu’en France on ne le fait pas car on ne connaît pas notre histoire. On ne connaît pas les luttes contre le racisme. Regarder vous m’avez dit qu’il y avait plus de résistants que de collabos, cela veut dire que vous ne connaissez pas l’histoire de France, l’histoire de votre pays. Alors naturellement, on s’oriente vers celle qui est connue, celle des États-Unis. Ce qui est important c’est que les évènements viennent de là-bas, ça libère les gens. Ils vont plus facilement aller vers ce combat. Dans mon livre j’explique que ceux qui sont discriminés dans la société française ont été éduqués à avoir peur donc je dis qu’il faut sortir de la peur.

Saliou Diouf : Est-ce que vous pourriez justement dialoguer avec ces sportifs, pour les pousser à se prononcer ? Vous avez cette légitimité.

Lilian Thuram : Quand je fais des livres, des interviews, c’est ce que je suis en train de faire. Je ne parle pas simplement aux sportifs. Je parle à tout un chacun. Je dis : « ayons le courage de débattre de ces sujets ». Si vous êtes père ou mère de famille, si on apprend certaines choses à nos enfants, vous pouvez discuter aussi de certains sujets. C’est comme ça qu’on fait avancer. Trop de gens attendent que les choses avancent, mais on ce n’est pas comme ça. Il faut se mobiliser pour que la société change.

Mariame Soumaré : J’aimerais savoir quelle a été la première fois où vous avez dû être confronté au racisme ? 

Lilian Thuram : La première fois, c’était lorsque je suis arrivé en région parisienne à Bois-Colombes. J’étais en CM2, et certains camarades m’insultaient de sale noir. Ensuite, je suis rentré chez moi, et j’ai demandé à ma mère : « Pourquoi ces enfants m’insultent de sale noir ? ». Et là, elle m’a dit : « Ici c’est comme ça, les gens sont racistes et ça ne va pas changer. » Cette réponse fut une très mauvaise réponse. Je dis cela car elle était en train de me dire que le racisme était une fatalité et que cela n’allait pas changer. Alors que c’était faux, cela pouvait changer. A partir de là, déjà très jeune, j’ai commencé à m’intéresser au racisme. J’ai commencé à comprendre que cela venait de l’histoire, qu’avant, les gens avaient hiérarchisé les personnes selon leur couleur de peau, que les personnes dites blanches étaient supérieures et que les personnes de couleur noire étaient inférieurs etc… Et cela a duré des siècles. 

Si jamais vous ne faites pas attention, vous êtes obligé par la force des choses d’intégrer un discours négatif sur vous-même. Il y a eu des personnes qui ont fait des expériences aux États-Unis et au Canada. On a demandé à des enfants de choisir entre une poupée blanche et une poupée noire, et on leur a demandé de dire laquelle est plus méchante, laquelle est la plus gentille, laquelle est plus belle, laquelle est la moins belle. Et toutes les choses négatives étaient choisies pour définir la poupée noire. Mais après tout ça, vous finissez par développer des complexes.

Mademoiselle Mariame, écoutez-moi, est-ce que vous savez qu’il y a des garçons qui ont la même couleur de peau que vous mais qui ne vous trouveront pas belle? Ils préféreront des femmes avec une couleur de peau plus claire. Il y a aussi des personnes de couleur noire qui font tout pour s’éclaircir la peau, pour être plus jolies selon eux. La plus mauvaise chose dans la vie, c’est d’avoir une mauvaise estime de soi. Nous vivons dans une société où la norme est blanche, il faut savoir se défendre de ça, et pour se défendre de ça, il faut avoir la connaissance des choses. Et pour finir, méfiez-vous des garçons qui disent que vous n’êtes pas jolie, c’est qu’ils sont aveugles. (Rires)

Kimberly Pierre : Comment avez-vous éduqué vos enfants face au racisme ? 

Lilian Thuram : En leur parlant tranquillement. En leur disant que nous vivons dans un pays où historiquement on a construit l’idée que la race blanche était supérieure. D’ailleurs jusque dans les années 1950 on apprenait à l’école que la race la plus parfaite était la race blanche. Donc faites bien attention de ne jamais intérioriser que vous êtes inférieurs. Par contre n’enfermez jamais quelqu’un dans sa supposée couleur de peau, en pensant que « les blancs sont comme ça ». Ne pensez pas que les Noirs sont « comme ça ». Ne vous enfermez pas vous aussi, dans cette catégorie liée à la couleur de peau. N’enfermez jamais une personne dans sa religion, ni dans son genre ou dans sa sexualité. On ne peut pas juger quelqu’un à travers le fait qu’il soit hétéro ou homosexuel. Qu’il soit un homme ou une femme. Faites très attention à questionner les conditionnements que vous allez recevoir. Essayez d’être une personne libre. Très souvent, vos amis vont vous emmener dans une direction de pensée. Demandez-vous si cela est juste. Vous allez rencontrer des gens qui vont se dire : « on me stigmatise par ma couleur de peau », mais eux même vont stigmatiser les gens pour leur religion, ils vont stigmatiser le fait que ce soit un homme ou une femme. Donc n’oubliez pas que vous êtes des êtres humains avant tout et qu’en face de vous il y a d’autres êtres humains.

Il faut donner des armes intellectuelles aux enfants pour qu’il se protège du racisme. Et quand vous vous protégez du racisme, vous savez que c’est le raciste qui a un problème. Pour vous c’est une évidence. Vous ne vous remettez pas en question à chaque fois que quelqu’un vous stigmatise sur je ne sais pas quoi. Il faut connaître l’histoire pour réagir et il faut toujours défendre l’égalité. Certains ont peur de prendre des décisions, de prendre une posture. Il faut toujours défendre l’égalité et ne jamais laisser passer les choses. Moi plusieurs fois j’ai été à l’école, voir les profs, la directrice. Parce que mes enfants me disaient quelque chose qui n’allait pas. Certains parents disent « oh c’est pas grave ». Non, c’est grave. Il ne faut rien laisser passer sur ce sujet-là.

Boris Kouyaté : J’ai discuté avec des tremblaysiens de votre combat contre le racisme, une question est revenue plusieurs fois : Ne profitez-vous pas du racisme pour essayer de vous maintenir sur le devant de la scène ? 

 Lilian Thuram :  (Rires) …  Je ne sais pas si je dois dire quelque chose. Je ne suis pas sûr de devoir répondre. Avec tout le respect que j’ai pour vous, il faut savoir ne pas répondre à ce genre de question. Si ces gens-là se posent ces questions-là, c’est qu’ils n’ont pas compris ce que je faisais. S’ils n’ont pas compris ce que je faisais, c’est qu’ils n’ont pas pris le temps de s’intéresser à ce que je faisais, ni d’aller chercher les informations. Ces personnes vous donnent un avis qui se base sur quoi ? Sur absolument rien. C’est à eux qu’il leur faudrait poser ces questions : « Qu’est-ce que vous faites pour sauver la société du racisme ? » Sachant que ce sont ces personnes-là qui disent « Oui, il faut changer les choses… » Mais que font-ils réellement ? Rien. 

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